
Ceci est l’histoire d’une vie qui n’a jamais été vécue, ceci est l’histoire d’une mort qui n’a pu que faire renaître. Ce qui ne tue pas rend plus fort, dit-on. Moi, ce qui m’a tuée, m’a rendu plus forte.
Je m’appelle Mariam. Je suis fille unique, ma mère est décédée en me donnant naissance, me laissant seule dans les bras d’un père que la douleur a rendu amer et implacable. Dans son regard plein d’une colère qu’il semblait désespérément chercher à cacher, je pouvais clairement lire qu’il me tenait responsable de la mort de ma mère. Mais ce n’était pas le pire. Il me tenait également responsable d’avoir eu l’outrecuidance de naître femme. Il aurait préféré un garçon robuste pouvant perpétuer son nom. Il a fallu que mes oncles et tantes maternels menacent de venir créer un scandale sanglant, avant que mon père ne me concède le droit de m’instruire. Ils durent également intervenir lorsque je mis un peu d’argent de côté pour m’acheter un téléphone et que mon père se donna pour mission de me battre quotidiennement jusqu’à ce que j’avoue que je lui avais volé cet argent. Il trouvait tout investissement en moi particulièrement inutile, puisqu’une femme, une vraie, ça servait uniquement à faire des bébés, la nourriture et le ménage. Vous l’aurez compris, je viens d’une famille profondément conservatrice.
Depuis l’enfance, je souffrais de dysménorrhée sévère, des douleurs menstruelles si intenses qu’elles me clouaient au lit, me volant ma respiration par leur brutalité. Mais dans notre maison, ma souffrance était une œuvre de fiction, une pièce de théâtre pour reprendre certains des mots de mon père. Chaque mois, quand les douleurs commençaient, il y répondait par une violence chaque fois accrue. « Arrête ton folklore, » hurlait-il en me battant avec une ceinture dont chaque coup me faisait l’effet d’une lame brûlante sur ma peau. Ses frères – mes oncles paternels, donc – se divertissaient de ce spectacle au point de l’attendre avec excitation et parfois même de compter les jours de mon cycle à haute voix au milieu de la cour commune.

Les ecchymoses et les hématomes étaient les témoins silencieux de ma douleur, cachés sous les vêtements qui n’avaient plus d’autre fonction que camoufler les preuves des abus que je subissais, et que dans mon esprit naïf d’enfant, je prenais pour de la rigueur paternelle classique. J’ai donc toujours vécu dans l’ombre d’un silence oppressant, où même la douleur était un sujet tabou.
Un jour, alors que j’allais bientôt avoir 17 ans et passer mon baccalauréat, un appel glacial transforma notre vie déjà sombre : mon père avait eu un accident de la route. Ses jambes étaient cassées en plusieurs endroits, et il gisait, emprisonné dans un labyrinthe de plâtres, sur un lit d’hôpital. Le voir ainsi, vulnérable et brisé, me secoua au plus profond de moi-même. Les médecins se pressaient autour de lui, leurs visages tendus, reflétant la gravité de son état.
Dans ce chaos, le stress déclencha mes menstruations quelques jours plus tôt que prévu. Presque immédiatement, les douleurs familières commencèrent, plus féroces que jamais, me forçant à chercher le réconfortant et indéfectible soutien du sol. J’étais allongée par terre, à quelques pas de l’entrée de la chambre où était mon père, quand une jeune femme en blouse vint s’accroupir près de moi pour me demander ce qui n’allait pas. Dans l’immensité de la douleur qui m’accablait, je réussis à grand-peine à prononcer un mot : « Règles », dis-je dans un souffle. La jeune femme, dont le regard doux contrastait avec la dureté de mon quotidien, hurla aussitôt pour demander un brancard et plus vite que je ne pus le comprendre, j’étais en chemin vers je ne sais où.
Nous arrivâmes dans ce qui semblait être un bureau, mais qui dans le même temps semblait trop grand pour n’être qu’un bureau. J’appris que la jeune femme qui m’avait approché s’appelait Alvine, et qu’elle était en réalité une femme d’âge mûr très bien conservée qui dirigeait le service Gynécologie et Obstétrique de l’hôpital. On m’administra rapidement quelques antalgiques afin de rendre la douleur tolérable. Puis, Alvine me demanda de lui expliquer mes symptômes. Lorsque j’eus fini, elle fronça les sourcils, alarmée, et ordonna une série d’examens qui révélèrent une sténose cervicale : mon col de l’utérus était anormalement étroit, expliquant d’un coup les douleurs qui avaient peuplé ma vie et que j’avais fini par accepter comme faisant partie de moi.
La solution était simple, une procédure de dilatation cervicale, mais seulement, voilà. Les années de passage à tabac en règle avaient enfin porté leurs fruits. Les examens révélèrent que les dernières bastonnades paternelles avaient causé une lésion thoracique qui était en train d’évoluer en hémothorax (écoulement de sang dans la cavité thoracique). Non traitée, cette condition aurait pu évoluer en une batterie de complications dont la grande majorité peut s’avérer fatale. Je n’étais pas très sûre de ce que je devais ressentir. Devais-je être soulagée d’enfin connaître la source de mes douleurs ? En colère contre ma famille pour les abus injustifiés ? Terrifiée par la silencieuse et sournoise proximité de problèmes médicaux pouvant déboucher sur la mort ? Peut-être était-ce légitime que je ressente un mélange de tout ceci.
Avance rapide : presque deux semaines plus tard, après les traitements et juste avant ma sortie de l’hôpital, Alvine m’invita dans son bureau. Elle semblait comprendre qu’au-delà de mes blessures physiques, j’avais été privée d’une éducation essentielle à ma santé et à mon bien-être.

Avec une gentillesse qui me réchauffait le cœur, elle me présenta un chatbot, un outil numérique conçu pour répondre à des questions liées à la santé sexuelle et reproductive.
« Ce chatbot s’appelle Chat Billi, il est disponible à toute heure pour t’aider à trouver des réponses aux questions que tu pourrais avoir, » expliqua-t-elle en me montrant comment l’utiliser sur un ordinateur de l’hôpital, d’abord, puis sur mon propre téléphone ensuite. « C’est une ressource précieuse, et tu peux l’utiliser anonymement, donc tu n’as pas à avoir peur du jugement de qui que ce soit. »
Elle me donna également son numéro de téléphone personnel, insistant pour que je l’appelle si je ressentais le besoin d’une aide plus directe ou si je voulais discuter de sujets plus complexes que ceux pouvant être pleinement abordés par le chatbot.
« Je suis là pour toi, Mariam. Non seulement pour t’aider à guérir, mais aussi pour t’aider à construire l’éducation qui t’a été refusée, » dit-elle avec une sincérité qui me fit monter les larmes aux yeux.
Grâce à elle, je découvris un monde de connaissances qui m’avaient été cachées. Par le biais de chaque interaction avec le chatbot et chaque conversation avec cette incroyable médecin, je reconstruisais les fondations d’une vie où je n’étais plus une victime du silence, mais une femme informée et forte.
Je suis Mariam, une survivante, une combattante, une voix pour toutes celles qui ne peuvent encore élever la leur. Je dénonce l’ignorance : la mienne, d’abord, qui m’a poussé à supporter des douleurs anormales pendant plusieurs années sans me plaindre une seule fois, et celle de ma famille, ensuite, qui les a amenés à me voir comme une actrice qui feignait et à qui il fallait donner de la vraie douleur.
L’ignorance a failli m’arracher à la vie, mais j’ai survécu. Aujourd’hui, je choisis de lever ma voix et mon poing, afin que plus jamais, femme ne subisse ce que j’ai subi à cause de l’ignorance.
Moses KOUGNIAZONDE
Sandra
Comment faire pour télécharger Chat Billi ?